Cher organisateur·ice, employé·e d'une institution publique, tuteur·ice, étudiant·e, militant·e,
Nous savons que vous en avez assez. Nous aussi. C'est pourquoi nous avons décidé de vous écrire cette lettre : alors que nous entamons une nouvelle “rentrée”, nous sommes toujours quotidiennement aux prises avec les infrastructures numériques gérées par des entreprises telles que Google, Microsoft, Amazon, OpenAI et HP qui, comme nous le savons, sont impliquées dans des actions militaires et génocidaires en cours. Une nouvelle année de réunions Zoom, de calendriers Google et de dossiers SharePoint qui, en apparence, semblent s'intégrer parfaitement à notre desktop, Blackboard ou téléphone. De toute évidence, il y a un éléphant dans la pièce.
Cette lettre est un appel à la coopération afin que nous puissions enfin chasser cet éléphant de nos salles de réunion, de nos espaces collectifs et de nos salles de classe. Il est temps de libérer nos organisations et de détruire tout ce qui soutient le complexe militaro-intellectuel-industriel. Cela implique notamment de mettre fin au régime institutionnel des contrats de souscriptions complices de pouvoirs génocidaires.
Notre première lettre a été écrite en 2019There is an elephant in the room, Constant (2019) https://constantvzw.org/wefts/elephant.en.html . Elle mettait l'accent sur la responsabilité institutionnelle de prendre soin des infrastructures numériques, en s'éloignant des plateformes commerciales. À l'époque, nous voulions partager notre inquiétude sur les risques auxquels nous étions confronté·es en utilisant une technologie axée sur l'extraction capitaliste plutôt que sur la convivialité, la complexité et la durabilité. Nous avons écrit à nouveau en pleine pandémie de COVID en 2020Dear student, teacher, worker in an educational institution, Constant (2020) https://constantvzw.org/wefts/distant-elephant.fr.html , pour appeler à la solidarité numérique à un moment où le besoin de rester en contact malgré la distance était devenu crucial. Nous avons été contraint.es, pour beaucoup d'entre nous, à utiliser les outils et des plateformes extractives gérées par l'éléphant. Les contrats signés alors en urgence par nos institutions se sont aujourd'hui multipliés à un rythme exponentiel et sont souvent devenus la seule option disponible, ne cessant ainsi d'allonger la liste des « solutions » plateformisées.
L'invasion de ces infrastructures éléphantesques s'intensifie en période d'austérité et de définancement généralisé. Ces entreprises imposent leur propre logique; logique qui se conforme et contribue au génocide, et ce dans leur propre intérêt. C'est une occupation épistémique qui réduit insidieusement la pensée critique et obstrue les possibilités d'épanouissement dans des sphères multiples et essentielles de nos vies collectives: culturelle, organisationnelle, éducationnelle etc.
D'importants investissements sont réalisés pour nous convaincre que ces outils, et les univers qu'ils érigent, sont incontournables. L'éléphant dans la pièce nous suggère qu'il appartient aux utilisateur·ices d'appliquer ses outils à des fins « bonnes » ou « mauvaises ». On nous fait même croire que ces plateformes pourraient faire de nous de meilleur·es enseignant·es, étudiant·es, collègues, collaborateur·ices, créatif·ves, chercheur·euses et ami·es. Le terme « meilleur·es » est ici mesuré à l'aune des concepts capitalistes de performance et de productivité plutôt que, par exemple, à la capacité d'action politique collective. Ainsi, cette obligation d'utiliser des outils axés sur l'efficacité accroît la pression sur des conditions de travail déjà précaires. On nous propose désormais des solutions numériques pour rester concentré·es et productif·ves alors que des atrocités continuent de défiler sur nos écrans.
Aujourd'hui, nous écrivons alors que des technologies servant le génocide sont déployées au vu et au su de tous·tes, et ce au mépris total du droit international. Alors que leur recours à l'expropriation des terres, à l'exploitation minière, à la précarité des travailleur·euses et à la consommation excessive d'eau est indéniable. Nous refusons de détourner le regard de l'épuisement accéléré de la planète et de la mise en péril de toutes formes de vie. De facilitateurs de génocide, à pilleurs de terres et destructeurs de savoirs, nous ne pouvons tout simplement pas accepter l'argument selon lequel ces outils sont une nécessité.
Cette lettre est un rappel à nous-mêmes que nous sommes des organisateur·ices expérimenté·es, des personnes qui savent apprendre et enseigner ensemble, en mesure de faire face à la complexité et pouvant mettre au point des processus de travail collectif. Ces technologies ne nous aident pas, elles entravent ces capacités spécifiques que nous avons cultivées ensemble au fil de générations de travail critique.
Nous ne sommes pas naïf·ves, nous savons que cela ne se fera pas du jour au lendemain et qu'il est difficile de se sortir de l'intrication de ces dépendances car elles imprègnent la réalité quotidienne de la plupart d'entre nous et des institutions. Le boycott ne fonctionne que jusqu'à un certain point et les stratégies peuvent être sinueuses et lentes à mettre en œuvre : le désinvestissement n'est pas un parcours linéaire et sans heurts. Mais comme beaucoup d'entre nous l'ont compris, l'éléphant dans la pièce n'est pas là pour nous; c'est pourquoi il est grand temps de trouver des modes d'action qui peuvent fonctionner à l'échelle de nos groupes d'affinité/collectifs/institutions. Cela peut être aussi simple que de remplacer un outil à la fois, d'établir des liens et des solidarités avec des organisations ayant des idées et des valeurs communes afin de partager des ressources et compétences, de décider de l'adoption d'un logiciel ou non, et de rendre ces choix plus lisibles pour les non-expert·es.
Nous devons nous sortir de cette situation, ensemble. Il existe de nombreux modes d'action qui peuvent être mis en œuvre à différentes échelles et à différents rythmes. Partageons-les.
Avec amour et rage,
Le groupe Infra-résistanceLes deux premières episodes furent écrites dans le contexte de Constant. Cette troisième lettre est issue d'un rassemblement d'Infra-résistance, auquel Constant a participé activement. Le réseau de réseaux Infra-résistance est un rassemblement informel d'activistes, d'artistes, de designers et d'organisateur·ices travaillant sur et avec les infrastructures informatiques. Nous nous sommes réunis à la fin de l'année 2023 afin de déterminer ensemble quelles pratiques technologiques peuvent être pertinentes dans le contexte de la violence génocidaire en Palestine et ce en solidarité avec les luttes anticolonialistes. Il s'agit d'une tentative continue de réfléchir et d'activer la relation entre les infrastructures informatiques dominantes et toutes formes d'oppression.
Septembre 2025
Des choses que tu peux faire et qui se produisent déjà. Plus d'exemples et d'informations ici : https://vvvvvvaria.org/~systers/infraresistance.pdf
Cette saison culturelle s'épanouira sans Meta Complicit tech out of our weekly assembly Mettez google à la porte 2025 : la dernière année universitaire où nous avons commencé en MSteams. Anti-racisme = Anti-capitalisme = Anti-cloud Désinvestissez, désinstallez